Engagement, déménagement, ça bouillonne !

En ce moment, les évènements s’enchaînent plus vite que je ne peux les raconter.

Retour à Paris.

Fin janvier, je suis revenu à Paris pour trois semaines. Le temps de bosser. Le temps de mettre en place le tout nouveau forum de Tera avec Simon (outil dont je suis très content, malgré les joies de l’open source avec Discourse). Le temps de prendre une décision douloureuse. Le temps de me poser avec moi-même pour écouter ce que ça racontait à l’intérieur, après les expériences dont j’ai parlé dans mon dernier billet. Et ces trois semaines sont passées très vite, car il est apparu que la transition appelle la transition, et qu’une fois qu’on a mis un pied dedans, l’autre pied suit rapidement.

Aussitôt reviendu, aussitôt repartu.

Mi février, je suis retourné en Dordogne, par un jeu de hasard (je ne crois pas au hasard) assez rigolo. Un copain, Valentin, qui commence à s’occuper d’une maison et d’un terrain familiaux en Corse, pour y soigner ses châtaigniers et y vivre, m’avait prévenu dès début janvier qu’il descendait lui aussi dans le Périgord pour y apprendre les bases de la permaculture chez un oncle. J’ai voulu voir comment ça se passait là-bas, et j’y suis descendu quelques jours avant Tera. Sur place, Valentin m’a présenté François (l’oncle en question), 70 ans, soixante-huitard qui est allé au bout de ses idées et qui vit seul en quasi-autonomie depuis 40 ans. Son petit corps de ferme est entouré par son potager, ses quelques moutons, un bout de forêt et des arbres fruitiers. Il produit une bonne partie de ce qu’il consomme, de ses légumes à sa viande, en passant par son miel (avec ses ruches) et son vin (avec ses vignes). Tout est là, agencé autour de la maison pour un minimum d’effort et un maximum d’efficacité. Même l’eau qui alimente la ferme est remontée de la source du terrain via un bélier hydraulique.

Le bélier hydraulique, 100% mécanique,
0% de consommation d’énergie extérieure pour fonctionner.

François a été une mine d’or d’informations sur les plantes et les animaux, fort de ses décennies d’expérience, et sa bibliothèque de ressources m’a franchement fait baver. Les échanges le soir autour de la table avec Valentin et lui ont été de très bons moments. Et à table, l’agneau du jardin était très bon. Oui, l’agneau du jardin.

Valentin a passé son baptême de vidage et dépeçage pendant mon séjour. Quant à moi, même si je ne voulais pas participer, j’ai tenu à assister à la mort de l’animal. Je pense que toute personne qui mange de la viande devrait au minimum être témoin de ce moment. J’ai vu comment l’agneau avait vécu (avec beaucoup d’espace, dans de jolis petits pâturages bordés d’arbres), comment il a été amené (dans un enclos, au milieu de son espace de vie, sans être attaché ni brutalisé), comment il a été allongé (avec douceur), comment François lui a tranché la gorge, et avec quel humilité il l’a fait. Ce que j’ai vu était à des années lumières de ce qu’on peut régulièrement voir d’ignoble dans l’abattage industriel (même bio). Et pourtant, ces quatre minutes d’agonie (j’ai compté les secondes) étaient interminables. C’est dur. Et si c’est déjà dur comme cela, alors il ne faut pas beaucoup d’imagination pour se douter que peu de personnes supporteraient encore d’acheter de la viande industrielle si elle se rapprochaient un peu de la manière dont leur viande est créée. Pour ma part, je reste encore un peu carnivore (ma consommation de bidoche a bien été divisée par quatre depuis 18 mois), mais dorénavant, je veux le faire avec un maximum de conscience. Quand j’ai mangé cet agneau à table, deux jours plus tard, il avait un goût bien particulier. Au-delà du fait qu’il était délicieux (compte tenu de ses conditions d’élevage, ou plutôt de non-élevage, c’est plutôt logique), chaque bouchée m’appelait à le remercier, et l’expérience avait une tout autre intensité que celle de bouffer une tranche de jambon lyophilisée.

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Un agneau remplit le frigo de François pour un bon moment..

Sur un terrain plus anecdotique, les conditions de vie à la ferme de François étaient assez spartiates : douche plus ou moins en extérieur  (à -2°C ça pique), et pas de chauffage dans la maison autre que la petite cuisinière à bois (le réveil de froid sous la charpente à 3h du mat, ça pique aussi). Si je m’inspirerai volontiers de tout le précieux savoir de François pour mes expérimentations à venir, je crois que j’ajouterai quand même un peu de chauffage à ma future maison (sauf si elle est bioclimatique) !

Ces quelques jours en Dordogne (j’en reviens au hasard mentionné plus haut), ont aussi été l’occasion de repasser voir Habite Ta Terre, plutôt deux fois qu’une d’ailleurs, puisque le lieu-dit de la ferme de François se trouve à 10km de Champs-Romain ! J’ai pris énormément de plaisir à revoir tous les copains rencontrés en janvier, et à en rencontrer d’autres. J’en ai profité pour faire le plein de news sur l’avancement du projet, et vider ma besace à propos de Tera, car la curiosité à propos de ce qui s’y passe était palpable. D’une manière générale, j’apprécie profondément de jouer au lombric et de favoriser les échanges d’informations entre les deux projets.

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La flambant neuve serre à semis d’Habite ta Terre !

Tera, l’explosion de saveurs.

Après quelques jours en Dordogne, je suis reparti pour Masquières (commune actuelle de l’expérimentation Tera), et cette fois pour y rester 10 jours, après le très bref week-end du mois de janvier.

Décrire chronologiquement ce que j’y ai vécu en février est absolument impossible, tant les expériences intérieures et extérieures ont été intenses, variées, simultanées. Pour simplement donner une idée de la chose, je suis arrivé Parisien, et je suis reparti officiellement Masquiérois dix jours plus tard.
La question d’un appartement disponible dans le centre du village courait depuis quelques semaines, et tout s’est enchaîné très vite à mon arrivée. Kenny et moi sommes maintenant colocs d’un appart à 3km de Lartel (le lieu-dit d’expérimentation de Tera). Ça va me permettre de vivre à mi-temps entre Paris et Masquières. Cela me permet à la fois d’être engagé dans cette nouvelle expérience, et en même temps de pouvoir continuer à travailler pour gagner un peu de sous en attendant un jour le revenu de base en monnaie locale…
C’est une situation qui ne peut-être que transitoire, j’en ai bien conscience. Mais ça tombe bien, on parle de transition. Dans notre quête de mieux-vivre, personne ne nous oblige à nous jeter de la falaise pour arriver plus vite au bord de l’océan. On peut aussi descendre la paroi par étapes, et c’est ce que je choisis de faire aujourd’hui.

En dehors de cette histoire d’appartement, ce qui m’a justement convaincu de franchir un gros pas en avant, c’est ce que j’ai vécu et observé de Tera pendant ces dix jours. En un mois d’absence, le projet avait déjà bien avancé. Le fameux saut de la foi, l’entrée dans la matière dont je parlais dans mon dernier article, a enfin été franchi. Avec des difficultés, avec des résistances, avec hésitation. Mais il est franchi. La serre à semis a été construite, le jardin se met doucement en place, les petits fruitiers ont été plantés. Au moment où j’écris ces lignes et où je trépigne à l’idée d’y retourner, la dalle en béton de l’atelier de taille des éléments de la première maison de Tera (une variation de la maison nomade) est sur le point d’être coulée.

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Franck en train de constuire la serre à semis de Tera

La question du jardin devenait urgente quand Stéphane, volontaire formé en maraîchage, est arrivé à point nommé pour nous apprendre quelques maniement d’outils et quelques techniques pour le potager (sans parler de sa généreuse donation en matériel). Tout se passe comme ça à Tera, tout oscille entre l’incertitude, et la confiance de voir arriver les solutions dont on a besoin au moment où on en a besoin. Et pour l’instant, ça avance très fort.

Il y a beaucoup de projets simultanés, et cela a encore davantage explosé suite à  la journée de la charte. Ouverte aux adhérents comme aux volontaires, elle a permis d’avancer sur la vision du projet (activités, principes et attitudes, valeurs), et a aussi déchaîné l’imagination dans tous les sens. Le bouillonnement a été intense, à la limite du supportable parfois. Les journées sont (très) bien remplies à Tera, et il est parfois difficile de s’autoriser le repos. C’est un très bon exercice de prise de responsabilité individuelle à ce niveau. Et je n’ai pas le choix si je ne veux pas retomber dans le burn-out.

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Le mandala de la charte, avant son invasion par une horde de post-it.

Le plus impressionnant a été la vitesse avec laquelle j’ai atteint un certain degré de connexion relationnelle avec les autres volontaires, alors que j’ai passé à peine deux semaines sur place. Je ne dis pas qu’on se connaît tous sur le bout des doigts. Ce que je dis, c’est qu’il existe là-bas un fil invisible entre les gens. Dans la communication, dans la gestion des conflits, tout ce qui se noue, se dénoue avec une facilité que je n’ai jamais connue auparavant. Comme si ce lieu nous avait rassemblé pour que nous apprenions tous quelque chose les uns des autres. J’ai eu mon lot d’épiphanies, comme en janvier. Lartel, c’est comme la Montagne magique sans la décrépitude du sanatorium. Une énergie particulière meut cet endroit. D’ailleurs, en étant bien clair sur le fait que des différences fondamentales existent entre Habite Ta Terre et Tera, les deux initiatives ont ce point commun de mettre de grosses baffes à tous ceux qui y passent (ou y restent !), de les bousculer sur leurs appuis, pour qu’ils apprennent à se repositionner, à se poser différemment. C’est ce qui fait la beauté de la chose. Et le fait que les initiatives comme celles-ci se multiplient en France me redonne espoir en ces temps troublés.

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De gauche à droite : Stéphane, moi-même, Simon, Frédéric, Emmanuelle, Nino sur les épaules de Vincent, et Lisa.

 

Reparti, mais en fait non. Mais en fait si ?

Je suis reparti de Masquières le 29 février, et je ne devais revenir que jeudi prochain (le 16 mars), mais quelques jours après mon arrivée à Paris j’ai craqué et je me suis tapé l’aller-retour express en camion pour amener mes meubles (nouveaux et anciens), de Paris jusqu’à Masquières.

1400km au total, avec un seul jour à Masquières entre deux journées de route, malgré le soutien inestimable de mon pote Antoine pour le déménagement, et celui non moins inestimable de Lisa une fois sur place, c’était une connerie. Le burn-out est revenu gratter à la porte, et j’ai payé une addition salée de retour à Paname. La leçon, c’est que les allers-retours express, c’est non. Passer 15 jours à mi-temps entre Paris et Masquières est déjà fatiguant. Et la différence de mode de vie est telle qu’il faut respecter un temps d’adaptation à chaque fois. J’ai donc revu mon emploi du temps pour limiter plus strictement mes allers-retours dans les mois à venir. Passer d’une chaise à l’autre, c’est une chose. Avoir le cul entre 12 chaises simultanément, c’en est une autre, et ça ne me fait pas du bien. Encore un truc intégré grâce à Tera, c’est parfait.

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Un petit bonus pris sur la route du déménagement.

Focalisation

Ce sera le maître mot des prochaines semaines. Il y a tant à faire à Tera. Tant à explorer, apprendre, accomplir. Et ça ne pourra pas se faire en deux jours, même si une petite voix impatiente continue parfois de s’en plaindre à l’intérieur de moi. Donc il faut faire des choix, se concentrer. La communication de Tera (interne, externe), et le jardin (planification et exécution) seront mes deux chevaux de bataille du mois de mars.

On verra au prochain billet si je m’y suis tenu. :p

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Ça n’est que le début.

 

 

Un pied dans les chantiers participatifs

Après les belles paroles, l’épreuve du réel.

Du 6 au 24 janvier, je suis allé mettre la main à la pâte chez Habite ta Terre, puis de façon imprévue chez Tera. Deux projets différents, à un état d’avancement différent, avec des gens différents, mais qui se retrouvent sur pas mal de points.

Habite ta Terre : bien plus qu’un chantier participatif.

Après une première expérience de construction au Sénégal , l’association Habite ta Terre a lancé un projet de construction de double earthship à Champs-Romain, en Dordogne. Le chantier a commencé au printemps dernier, et devrait se poursuivre jusqu’à l’été/automne 2016.

L’arrivée sur place a été la baffe que j’attendais. C’est un chantier dans tout les sens du termes. Pour construire des earthships, oui, mais aussi pour construire un mode de vivre-ensemble, une gouvernance, et des outils de communication différents. À tel point que pendant mon séjour, la construction des maisons m’a presque parue secondaire (j’ai dit presque).

Après deux sessions de formation de bénévoles au début du chantier, et plusieurs mois d’expérimentation, les mécaniques de fonctionnement sont assez limpides. Le matin, les gens se retrouvent entre 8h30 et 9h au mobil home (qui se trouve sur le terrain du chantier), 9h, réunion de chantier où les référents exposent les missions du jour et le besoin en main d’œuvre. Les groupes se forment, et c’est parti. Après la pause déjeuner, on reprend à 14h jusqu’à la fin d’après-midi. Point d’obligation de travailler sur le chantier. Si on veut sécher le matin, ou l’après midi, ou les deux, chacun est libre. La seule obligation si l’on vient est de venir aux heures convenues.

Sur le chantier lui-même, on apprend à faire, on apprend en faisant. Pendant ces deux semaines, c’était le début du travail de charpente pour les earthships. Mesures, tailles, montage à blanc, ajustements, etc. Florian et Jean Lou, les deux charpentiers, m’ont beaucoup appris. Par leurs explications, leurs réponses à mes questions, et surtout par ma simple observation (je reviens d’ailleurs là-dessus un peu plus bas). Une équipe travaillait sous tonnelle, une autre directement sur les constructions en cours, notamment pour la lisse d’implantation. Parfois les fortes pluies forçaient les équipes non-abritées à quitter leur ouvrage. Qu’à cela ne tienne, un café ou une petite tartine au mobil home jusqu’à la prochaine accalmie et c’est reparti.

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Le matin, pas chaud. Les flaques d’eau craquent sous les pieds.

Chaque jour, une petite équipe est volontaire pour faire la cuisine dans la grande maison pendant toute la journée. Avec entre 20 et 30 personnes à nourrir en fonction des repas, c’est une vraie cuisine de restau à tenir. Le fonctionnement des tours de ménage est similaire. Les murs de l’une des maisons louée pour l’hébergement des volontaires sont tapissés de schémas organisationnels, de tableaux d’intendance, de rappels, de frises chronologiques du projet, du programme de la semaine, etc.

D’une part l’intendance fonctionne très bien et fluidifie d’autre part le déroulement du chantier. Mon observation et ma participation à ces deux faces d’une même pièce, ont été très enrichissantes en savoir faire, et m’ont permis d’en apprendre plus sur les mécaniques communautaires qui soutiennent une telle entreprise.

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Mes avant-bras se souviennent de la préparation du risotto pour 30.

Mais ce qui fait la richesse d’Habite ta Terre, c’est aussi tout ce qu’il y a autour, à commencer par la place du projet dans les cercles locaux. Comme dans toute initiative d’éco-lieu/coopérative/projet dit « alternatif » , l’implantation d’Habite ta Terre à Champs Romain a soulevé des rumeurs. La plus folle d’entre elle faisait des bénévoles une équipe de réfugiés syriens venus pour construire un camp d’entraînement pour Daesh. Et comme à chaque fois dans ce genre de cas (cf. le témoignage de l’éco hameau des Cœurs), c’est la rencontre qui brise la méfiance. Lors des premières présentations du projet de chantier participatif au village, très peu de gens sont venus. Au fil du temps l’équipe du chantier s’est fait connaître par plusieurs évènements (comme l’organisation d’une soirée de Noël en décembre dernier), par la simple évolution du chantier qui montre qu’il ne s’agit pas d’une équipe de charlots, et par toutes les petites rencontres individuelles qui sont arrivées au fil des mois. Petit à petit, Habite ta Terre s’est fait une place à Champs Romain, mais aussi dans les villes et villages alentours. En participant à une mission marché à Thiviers avec Manal, j’ai pu constater comment son talent naturel de communicant portait ses fruits auprès des commerçants. Quand on va vers les gens, les gens viennent vers vous.

J’ai cité deux ou trois noms, mais chacune des personnes que j’ai rencontrée avait son propre talent à apporter au chantier et à la communauté en place, et c’est ce qui en fait sa grande richesse : La diversité des profils et des parcours qui ont menés les gens à Champs-Romain.

Il n’y a presque plus de bénévoles temporaires, mais une écrasante majorité de « permanents ». Plusieurs d’entre eux pensaient ne pas rester plus de deux semaines en arrivant pendant l’été, et y sont encore 6 mois plus tard. La capacité d’accueil du projet a atteint ses limites. D’une part parce que c’est l’hiver, et que les bénévoles en tentes ne peuvent plus décemment venir (les gens vivent dans les maisons louées dans le village et  les mobilhome/yourtes/caravanes/camions présents sur le terrain du chantier). D’autre part, parce qu’il s’est développé une cohésion de groupe si forte en quelques mois de chantier, qu’un consensus s’est établi pour équilibrer la population de la communauté. Finalement, nous n’avons jamais été plus de trois ou quatre bénévoles « temporaires » pour un nombre de « permanents » qui oscillait entre 20 et 25 (en fonction des aller-retours de chacun dans leur chez eux ou futur ex-chez eux). Sur ces permanents, une quinzaine envisage de s’installer pour de bon à Champs-Romain une fois le chantier terminé. Les projets ne manquent pas : reprendre le bar fermé il y a quinze ans, rouvrir l’école, mais aussi des projets propres au terrain du chantier, comme le jardin potager.

Je parlais plus haut de l’apprentissage par l’observation. J’ai pu justement assister à deux réunions du groupe en charge du jardin. J’avais le droit d’écouter, mais pas forcément d’intervenir, ou alors de façon minimale. J’ai appris après coup que c’était un test de nouveau mode d’intégration : les nouveaux écoutent, mais ne parlent pas. J’en ai goûté directement les avantages : en sachant qu’on n’a pas à porter de responsabilité, du moins immédiate, dans un groupe de travail donné, toute la pression de devoir s’agiter, de devoir occuper de l’espace, de devoir prouver quoi que ce soit, est de facto supprimée. De plus, une grande partie des questions qui viennent (et dieu sait que j’en ai eu devant les immenses schémas de répartition des semis et autres tableaux de plantation en fonction des cycles lunaires), trouvent leur réponse à la simple écoute de ce qui se dit. Et pour les non-nouveaux, c’est la fluidité de ne pas devoir s’interrompre chaque minute pour expliquer quelque chose ou repousser une idée certes intéressante, mais totalement impertinente.

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Le plan du jardin potager

Cette expérience précise n’est que l’une des marques de l’expérimentation permanente de la communauté pour de nouvelles solutions de vivre-ensemble et de communication. Les réunions sont nombreuses chez Habite ta Terre. Parfois plusieurs fois par jour. Parfois par commissions, parfois pour tous les permanents, parfois pour tout le monde. Il y aurait  trop à dire sur leur mode de fonctionnement pour un seul article, mais le point commun et crucial de tous les modes de communication que j’ai pu observer là bas, c’est la bienveillance. Je l’ai vraiment ressentie dans ma chair comme la clé de voute de la réussite du chantier, mais aussi de tous les projets ultérieurs de ceux qui veulent s’installer à Champs Romain par la suite. Ce n’est pas un monde de bisounours. Les gens là-bas ont leurs casseroles, leurs peurs et leurs colères. Mais la bienveillance sous-jacente huile toute la mécanique de communication et les comptes ont l’air de se régler sans faire de morts.

À titre très personnel, ces deux semaines ont été riches en rencontres, en apprentissages, et en baffes diverses et variées. En plus d’apprendre des rudiments du travail du bois, j’ai appris un tas de trucs sur l’éco construction en général et l’efficacité énergétique des constructions, sur la gouvernance horizontale au sein d’une communauté ; je me suis trouvé des partenaires et un mentor aux échecs (j’ai plus progressé en 2 semaines qu’en 15 ans), et d’un manière générale j’ai rencontré des gens qui m’ont fait beaucoup de bien. Des gens qui ont eut leur lot de pains dans la tronche, et qui s’en sont relevés plus vivants et plus libres. Je l’ai vécu comme un putain de signe : « Tu n’es pas seul. Continue. »

Comme toute expérience humaine, elle a eu son lot de joies, de déceptions, de surprises et de dramas. L’expérience était d’une densité parfois à la limite du supportable. Quand je n’en pouvais plus, j’allais hurler seul au saut du Chalard, au milieu des arbres endormis et de l’eau qui court. D’ailleurs, la présence de la nature autour du chantier n’a fait que confirmer ce que je sais depuis longtemps : l’être humain est fait pour vivre près d’elle. Parfois, j’arrivais au chantier le matin avec le cœur enroulé dans du fil barbelé, et un seau de merde enfoncé sur la tête. Après une journée passée au soleil (quand il voulait bien se montrer), à équarrir un tronc, à répéter et travailler en conscience le même geste, à travailler le bois, et puis à poser la doloire de temps en temps pour regarder les collines et le ciel bleu, je me rendais compte que le seau et le fil barbelé n’étaient plus là. Il ne restait plus que le calme, la délicieuse douleur du corps qui travaille, l’air froid et pur qui brûle agréablement les poumons, et la bonne fatigue. J’en reprendrai une double portion, s’il vous plaît.

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L’atelier d’équarissage

Tera : L’ambition, le saut de la foi, et l’espace.

Comme j’en parlais dans mon billet précédent, je suis de près le projet Tera depuis quelques mois. À l’heure actuelle, Tera, c’est un certain nombre d’étapes prévues : un chantier école en habitat léger et démontable, la mise en place d’une production commune (de nourriture notamment) pour un premier éco hameau, et enfin à très long terme une association d’éco hameaux pour former un écovillage solide. Sans parler d’un mode de gouvernance horizontal, et de la mise en place d’une monnaie locale et d’un revenu de base. Rien que ça ! ; )

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Dans les faits, Tera, c’est aussi un terrain de 12 hectares dans le Lot-et-Garonne, prêté pour les premières phases de l’expérimentation. Un écrin de collines, de bois et de prés, quelque par entre Agen et Cahors.

J’étais en contact avec Simon, l’un des conseillers volontaires (comprenez membre du noyau dur) depuis quelques temps déjà, parce que je voulais participer notamment à la mise en place d’un forum pour le projet (fort de mon passé trouble de geek-shoutcaster-admin sur les internets). Pendant que j’étais à Champs-Romain, Simon me glisse au téléphone : « hey mais c’est la réunion des volontaires de Tera les 23-24 janvier, tu peux passer si tu veux ». Comme quoi quand on commence à bouger, les choses viennent à nous. J’ai écourté mon séjour chez HTT, changé mes billets, et je me suis retrouvé à la gare de Monsempron-Libos le 22 au soir, à presque 200km au Sud du premier chantier.

Honnêtement, quand j’ai rencontré Simon et son petit garçon sur le quai, je n’en menais pas large. J’étais triste de partir de Champs Romain, j’avais la peur du tout proche retour à Paris dans l’estomac, et toutes les angoisses du moment qui dansaient la farandole dans ma tête. Tout ce qui a suivi a pourtant confirmé que j’ai eu raison de saisir cette occasion.

Une fois arrivé à Masquières, puis à Lartel, lieu-dit de l’expérimentation Tera, j’ai fait la rencontre de Frédéric (dont j’ai parlé dans le précédent billet), et d’une bonne dizaine d’autres volontaires de l’association.

Avec un certain amusement, je n’ai pas pu m’empêcher de faire des comparaisons avec Habite ta Terre, tout simplement parce que les points communs sont criants. J’ai retrouvé les mêmes tapisseries organisationnelles sur les murs, la même convivialité, un vocabulaire commun sur les valeurs et sujets les plus fondamentaux du projet, les tours de parole, etc. En caricaturant à l’extrême, Tera m’évoque aujourd’hui l’image de ce qu’on m’a raconté des débuts du chantier d’Habite ta Terre à Champs-Romain. Beaucoup d’enthousiasme, des mécaniques en plein début d’expérimentation, et les inévitables rumeurs dans le village à propos du projet !

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Le site de Lartel

 

Le chantier école n’a pas encore commencé, les plans sont en cours de finalisation. Mais il y a beaucoup d’autres chose sur lesquelles nous avons pu travailler pendant le week-end : gouvernance, intégration des volontaires,  planification des tâches, etc.

Si pas mal de choses m’ont évoqué HTT chez Tera (dernier exemple, j’ai entendu parler pour les premières fois de la CNV à quelques jours d’intervalle à Champs Romain et à Lartel), il y a pas mal de différences fondamentales. Déjà, le projet. Ici, les enjeux à long terme sont clairement définis, là où ils ont émergé au fur et à mesure chez HTT. Ensuite l’âge moyen, qui est plus élevé, et les personnes, forcément différentes mais là aussi toutes riches d’expériences à partager et de personnalités bien trempées. Au niveau de la gouvernance, j’ai observé un très gros travail sur la mise en place des différents cercles du projets Tera (adhérent, volontaire, conseiller volontaire), sur les modes de résolution du conflit (expérimentation par Tera des cercles restauratifs ), sur la planification des tâches (via un kanban format XXL), et le découpage des réunions. Le travail des 23 et 24 a encore fait progresser ces chantiers. Sur le papier, beaucoup de choses sont maintenant en place.

L’enjeu majeur de Tera aujourd’hui, c’est d’enclencher l’entrée dans la matière. Entrer dans le vif des chantiers, passer à l’action. J’ai senti que ça trépignait pas mal chez certains (y compris chez moi, en fait). C’est un moment clé pour l’avenir du projet. Ici aussi, j’ai la sensation que c’est la bienveillance générale qui va soutenir ce point de bascule. Ça et les bonnes volontés. L’association compte plusieurs centaines d’adhérents, et plusieurs dizaines de volontaires qui ont déjà proposé leurs services. Et sur place pendant les réunions j’ai senti beaucoup d’écoute mutuelle, ce qui est bon signe.

L’autre différence fondamentale en ce qui me concerne, c’est l’espace qui existe là-bas. Tout est à faire, ce qui implique une liberté de s’impliquer profondément et à long terme dans le projet. C’est à la fois complètement flippant et particulièrement stimulant.

J’ai pour l’instant contribué à travers des compétences que j’ai déjà, notamment par le témoignage de mes expériences communautaires, et par la mise en place avec Simon d’un forum tout beau tout nouveau pour Tera. J’y retourne dans deux semaines pour travailler au jardin, et pas que sur le papier, pour cette fois contribuer dans la matière et apprendre de nouvelles choses.

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Y a plus qu’à.

D’ici là, et après avoir lu dans la bibliothèque commune de HTT  La charpente, mode d’emploi (guide succinct mais utile et riche en vocabulaire), je retourne dans l’introduction à la permaculture de Bill Mollison, dont chaque page est si dense en informations que je ne sais pas combien d’années il va me falloir pour tout lire et surtout comprendre.

Et le Pearltree de Vivre en résilience commence à se remplir. N’hésitez pas à jeter un œil.