Demain, tous paysans ?

Avec la transition qui s’amorce un peu partout dans le monde, y compris en France (qui fait pourtant figure mythique de résistance au changement), se pose la question de l’engagement personnel. Vers quoi vais-je diriger mon mode de vie ?

L’élan qui se dessine de plus en plus là où je porte mon regard, est celui d’un retour vers des valeurs liées au respect de la nature, à une alimentation saine, à un air pur à faire respirer à ses enfants et pour soi-même, à un lien social retrouvé, et à une quête de sens politique réel dans nos actions.

Pour les citadins endurcis qui ne veulent plus vivre dans les particules fines ni bouffer des fruits et légumes remplis de pesticides et vides de vitamines, le retour à la terre a parfois des effluves de douce utopie, et parfois semble être cet idéal de vie vers lequel il faut absolument aller. « Être en contact avec la nature, les mains dans la terre, au grand air, voilà une vraie vie ». Oui.

 

Et pourtant, faut-il que nous soyons tous paysans ?

 

Si le paysan est la personne qui vit au contact de la terre  de la campagne, du « pays » (c’était sa définition au XIXe siècle avant qu’on y rajoute au XXe la notion de « vivre de sa terre ») alors oui, un peu, sûrement. La sortie d’un monde non résilient ou chacun produit un fragment incomplet de ce qui est nécessaire et l’exporte a des milliers de kilomètres, passe par une réappropriation par tous des questions du rapport à la nature, à la production alimentaire, énergétique et du logement, pour ne citer que les exemples les plus criants.

Nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir voir pousser notre nourriture, à vouloir construire notre maison, et à tendre vers l’autonomie énergétique. Dès qu’on se penche sur la vie rurale, on se rend compte que c’est ce que le paysan (pas le monoculteur FNSEA, hein) a toujours fait.

 

14047283_1340765899285855_2130138034987370199_o
Une cagette de la première année de récolte du jardin de Tera.

 

C’est un noble idéal. C’est aussi, littéralement, un autre monde, pour celui qui a grandi en ville, qui est habitué à des modes de consommation et de productions ô combien différents, qui ne sait pas faire grand-chose de ses dix doigts, qui passe des après-midi à bouffer des séries Netflix sur son canapé ou à jouer aux jeux vidéos. S’imaginer passer d’un monde à l’autre en une enjambée est un sacré mirage. Même si je pensais avancer avec prudence dans ce « nouveau » monde (qui a toujours existé), je me suis quand même fait surprendre. L’amour du travail de la terre ne vient pas comme ça. C’est quelque chose qui se cultive depuis la graine, et les premières pousses sont fragiles.

La culture inconsciente est quelque chose de très puissant. Jusqu’à l’an dernier, je me posais peu de questions concrètes sur la paysannerie et l’agriculture. Les paysans, pour moi, c’étaient des types qui conduisent un tracteur et caressent des vaches (j’exagère un peu). Et l’agriculture non mécanisée, « ça n’existait qu’au XIXe siècle ». Aujourd’hui, je saisis déjà un peu mieux ce que représente le fait de s’occuper des plantes, des bêtes, mais aussi de la construction et de l’entretien d’un corps de ferme, de la distribution de sa production, de la gestion des ressources naturelles, etc. Je suis passé du néant à un premier aperçu d’ensemble fondé sur la réalité.

Cette somme d’activités (non exhaustive) est d’une complexité et d’une richesse inouïe. Encore davantage lorsque l’on entend se passer au maximum de machines pour réduire son empreinte écologique. Certains citadins qui s’imaginent bien au-dessus de la condition paysanne, de par leurs activités « évoluées », leur propreté, leurs tenues vestimentaires, leur langage et leurs modes de consommation, feraient bien d’aller passer un mois dans des fermes, la chute serait (très) violente.

Même pour moi, plein de bonne volonté au début du printemps dernier, la claque a été dure. À un certain moment, j’ai été référent jardin chez TERA (parce que j’en avais sincèrement envie). Au bout de deux semaines, et même si nous étions plusieurs à assumer ce rôle, j’ai tout envoyé chier. La somme de savoir et de savoir-faire nécessaire à la conception et à la mise en application passable (je n’ai pas dit bonne, ni même correcte) d’un espace permacole, est juste colossale, et fatigué de me sentir nu et nain face à l’Everest, j’ai lâché l’affaire. Pour le moment.

Être paysan, c’est l’apprentissage d’une vie. Comme d’autres choses. Mais voilà, il faut se positionner. Que suis-je en train de chercher dans ma transition ? Est-ce un métier lié à la terre ? Est-ce tout mon mode de vie que je veux transformer ou bien est-ce que je veux garder un pied dans l’ancien monde ? Puis-je faire d’une vie paysanne ma passion ? Ai-je d’autres passions auxquelles je ne veux pas renoncer ?

Les réponses sont différentes pour chacun, et ne peuvent venir qu’à travers l’exploration et le tâtonnement personnel. Alors, je tâtonne, j’explore. La première chose à s’imposer quand on est en transition, c’est de ne rien s’imposer. En étant ouvert à ce qui se présente, je me rends compte que la vie m’oriente naturellement. Aujourd’hui, elle me propose quelque chose d’intéressant sur le sujet de cet article.

 

branding

 

Le 26 septembre, je commence une formation étalée sur 5 mois. C’est avec Fermes d’Avenir, qui propose un programme très complet comprenant permaculture, maraîchage, agroforesterie, tout l’administratif lié au bio, etc. Je m’aventure là-dedans avec le soutien de TERA et avec Simon, un compère de l’association. Simon, écologue, au contact de la nature depuis longtemps, familier des forêts et jardins, sait ce qu’il veut. À son retour, il s’installera comme agriculteur à TERA. Simon est un alpiniste éclairé sur les itinéraires pentus du maraîchage. Son équipement est rôdé, il a déjà gravi pas mal de sommets, cette formation sera pour lui l’occasion d’ajouter quelques mètres de paracorde à son équipement, remplacer un piolet, étudier de nouveaux accès sur la montagne, etc.

Pour moi, randonneur débutant sur les chemins du retour à la terre, c’est très différent. Je suis là pour apprendre, point. Apprendre la permaculture, apprendre le maraîchage, apprendre l’agroforesterie, apprendre les aspects administratifs de la gestion d’une ferme bio, etc. Dois-je absolument m’installer agriculteur à la fin de la formation ? Dois-je m’empresser de cultiver sous peine de je-ne-sais-quel-châtiment-divin ? Non. En revanche, j’ai envie de transmettre, à TERA et ailleurs. « Toi, oui, toi, débutant, viens, ne t’occupe pas de l’Everest. Je vais t’apprendre comment mettre un pied devant l’autre et gravir une jolie montagne aux pentes douces». Voilà ce que je veux et ce dont je suis capable aujourd’hui. Dans 6 mois, à la sortie de la formation, j’aurai plus d’outils, je serai moins nu, et ma réponse sera peut-être différente. Ou pas. On verra.

En France, depuis l’exode rural, la mécanisation intensive, l’installation de la logique de monoculture, la baisse des marges via les intermédiaires, l’arrivée des pesticides/herbicides et autres joyeusetés, le nombre d’agriculteurs est en chute libre. Aujourd’hui, ils ne représentent plus que 3,5% de la population active quand un Français sur deux travaillait dans les champs en 1900. Il est clair que pour retrouver de la proximité, de l’humanité, des aliments de bonne qualité, une moindre mécanisation (et donc une moindre consommation d’énergie fossile) il serait préférable que cette proportion augmente un peu, que les petits paysans se multiplient. Cependant, il y a tout un éventail de possibilités pour se rapprocher de la terre et participer à une production plus écologique, plus consciente. Avec 10% d’agriculteurs, et davantage de petite production amateur chez les 90 % de la population restante (production allant du passe-temps solitaire de 30 min par semaine jusqu’à l’autonomie totale, en passant par les Incroyables Comestibles), nous serions d’ores et déjà dans une situation alimentaire bien plus saine qu’aujourd’hui.

Quand on est en transition, on a parfois (et je l’aie eue) la tentation de l’extrême inverse. Mais ce n’est pas en se coupant le bras qu’on soigne l’infection qui le ronge. Jeter le bébé avec l’eau du bain (dans mon cas, renoncer à mes passions en même temps que je renonce à la vie urbaine) ne m’a pas aidé. Depuis quelque temps, je cultive davantage de douceur et de lenteur avec moi-même. Savoir où on en est permet de ne pas se projeter trop haut sur une montagne dont on ne sait même pas si elle nous convient. Je peux m’inviter à explorer ce nouveau monde dans un état d’ouverture profond, mais sans vouloir m’y accrocher à tout prix. Et l’expérience se chargera de me montrer ce qui me convient, et ce qui ne me convient pas.

Tous les urbains ne quitteront pas leur ville pour se lancer dans la belle et dure vie d’agriculteur bio/permacole. Ce n’est pas une vie pour tout le monde. Et nous avons le droit d’aspirer à toutes sortes d’activités, ni meilleures, ni moins bonnes : les nôtres, simplement.

Mais demain, j’espère que nous serons tous un peu plus paysans dans nos cœurs, nous les déracinés de la terre, nous les citadins qui n’avons battu que le goudron et le béton pendant le plus clair de nos vies, nous les hommes et les femmes qui avons poussé hors-sol et qui avons été nourris aux pesticides et à l’engrais de la société de consommation. Sans forcément aller dans des extrêmes, sans forcément être tous fermiers. Juste en amenant dans nos vies un peu de travail de la Terre, pour garder les pieds bien ancrés dans l’humus. Pour s’en nourrir, et donner le meilleur de nos fruits au monde qui nous entoure.

 

 

 

 

 

 

 

Je suis un fainéant. Ou pas.

J’ai passé toute ma première vie à me faire traiter de fainéant. Par ma mère, par mes professeurs à l’école, au conservatoire, et par la suite par certains de mes collègues. J’entendais : « ça va, mais tu pourrais faire tellement mieux si tu travaillais un peu plus ! » Et ce, en dépit de résultats scolaires puis professionnels corrects. Le fait est que le job a toujours été fait. Que malgré ce dégoût profond pour la pression qu’on m’infligeait, ces projections de valeurs qui n’étaient pas les miennes, j’ai accompli ce qu’on attendait de moi.

Pendant les 28 ans de ma courte vie j’ai été monteur, cadreur, réalisateur, producteur, commentateur e-sportif, journaliste (Consoles +, paix à ton âme), écrivain, photographe sur un malentendu, et j’ai même bossé sur des chantiers à la fin de mon adolescence. J’ai fait un tour de France en 125 et traversé la France à pied. J’ai voyagé en France, en Suisse, en Belgique, en Inde, en Pologne, en Allemagne, en Italie, aux Pays-bas, aux Etat-Unis, en Espagne. Aujourd’hui, je suis dans le projet TERA, et je participe à quelques chantiers participatifs du Sud-Ouest. Je suis en train de devenir animateur du jeu du Tao,  et je m’apprête à faire une formation de payculteur (de paysan du 21eme siècle, quoi). Dans le futur, je serai peut-être chaman, charpentier, ostéopathe, et qu’en sais-je encore.

Est-ce que cet accumulation d’actes et d’occupations définit à elle seule ce que je suis ?

Certainement pas.

Est-ce que cette accumulation m’a apporté le bonheur ?

Non.  

Partant de ce constat, je laisse aujourd’hui le soin aux super productifs et aux super occupés (je ne parle pas des gens investis en conscience dans leur passion) de se ruiner la vie dans l’illusion du bonheur qu’est la suractivité. Je ne me définis plus uniquement par ce que je fais ou ne fais pas, mais surtout par ce que je suis.

Et parce que j’ai toujours travaillé « peu » (en temps administratif), parce que je ne suis pas partisan d’être toujours en train de faire quelque chose, et parce que j’ai besoin de (beaucoup de) temps pour moi, je (comme de nombreuses personnes de ma génération) suis un « fainéant ». En tout cas je le suis aux yeux de certaines personnes qui ont une idée bien précise de ce qui est bon pour la jeunesse, ou de ce qu’elle « doit » faire. Sans parler des caisses de retraite, de pôle emploi, et bien sûr des politiciens.

Mais leur jugement ne parle que d’eux-mêmes, pas de moi.

Pour ma part, je cherche aujourd’hui à vivre dans l’action juste, celle que je choisis et pas celle qu’on m’impose ou que je m’impose en fonction du regard des autres. Au-delà du voile de peur que soulève cette posture, autrui se rendra compte par lui-même que je ne me laisse pas mourir au fond de mon canapé. Que je ne deviens pas une sous-merde amorphe simplement parce que je prends ce temps que j’ai laissé les pressions extérieures me voler une partie de ma vie. L’action juste peut occuper un centième de mon temps comme la totalité. Mais cette proportion varie en fonction de ce que la vie présente. Et la vie n’est jamais constante. Elle est mouvement, et variation perpétuelle.

La génération Y n’est pas surnommée « génération burnout » par hasard. Les gens explosent parce qu’à force de se consumer pour des choses extérieures à elles-mêmes, leur identité a totalement disparu, ils n’ont plus aucune raison de vivre. Il y a un peu moins d’un an, après plusieurs années d’agitation grandissante (que certains appelleront « travail/occupation »), je me suis retrouvé incapable de contacter, de sentir ce que je foutais sur cette planète. Et pour continuer à vivre, il a fallu tout arrêter. Ce n’est pas simple, quand on est pris entre le marteau des jugements sur le « travail » et l’enclume de la vie qui met un arrêt non négociable à ce que l’on est en train de faire.

La quête de sens passe par une interrogation de ce que nous avons fait jusqu’ici. Nous, mais aussi ce qu’ont fait les générations précédentes. Et pour cela, il faut du temps. Du temps que je consacre à moi et pas à la surexcitation d’un monde mourant qui ne m’intéresse plus.

« Mais tu ne vis pas seul, tu vis en société ». Merci, oui. Seulement, la société que je veux voir émerger, celle que je consacrerai ma vie à faire émerger, pour les autres et pour moi-même, n’a rien à voir avec celle dans laquelle j’ai grandi. En ce début de troisième millénaire, partout dans ce pays et dans le monde, des gens (jeunes et moins jeunes) se rassemblent pour réinventer le vivre ensemble, le travail, la production alimentaire et énergétique, la notion d’activité, d’action consciente, la communication entre les personnes, etc. Je m’inscris là-dedans.

« Eh ben si tu veux changer tout ça, va falloir te bouger ! » pourrais dire notre ami Jean-Jacques. Il va surtout falloir s’arrêter une minute, une heure, une semaine, un an, dix ans s’il le faut. Transformer toutes ces choses, c’est une vocation d’une ambition immense, et qui conjointement réclame la plus grande humilité et la plus grande lenteur. C’est un contraste entre un besoin d’actions innombrables à mener, et en même temps une exigence de calme, de recentrage, de sortie de la frénésie, de la précipitation aveugle. Dans la suractivité menée sur rail, on ne réussira qu’à reproduire l’ancien monde. On ne résoud pas les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés (merci Albert).

20160506_153455.jpg
Un des coins dans lesquels j’ai pu commencer à être sans faire, ce printemps.

Moins je me sens « occupé », « employé », « au travail », plus je me sens apte à mener une action consciente en phase avec ce que je suis profondément. Et rien de ce que suis profondément ne cadre avec les exigences de vieux schémas de contrôle du monde du travail. Je ne suis pas mon métier, pas plus que quand je porte un chapeau je ne suis un chapeau. Et ce, même si j’aime mon métier de monteur depuis 10 ans. Même si j’aime mes futurs métiers en train d’émerger.

Il est réellement merveilleux de mener des activités que l’on aime. Et aussi beau d’apprendre à ne rien faire quand les activités que l’on exerce ne nous correspondent pas/plus… ou qu’il est simplement le moment de ne rien faire.

On stigmatise les gens qui « ne font rien », en oubliant les gens qui font et « qui ne sont rien », dont l’identité est totalement broyée par leur travail, et qui représentent une part bien plus importante de la société que les premiers nommés. Évidemment qu’il existe un équilibre. Le rechercher passe par des phases d’explorations alternées du faire et de l’être, pour ensuite pouvoir faire en étant, et être en faisant, dans la joie.

_MG_4854.JPG
Après une semaine de jeûne et de non faire en juin, j’étais à nouveau heureux de faire, de construire, en conscience.

C’est quelque chose qui peut naître de façon intuitive chez certains (qui pourront remercier leurs parents de les avoir accompagnés et non « éduqués ») et qui est un putain de parcours du combattant pour d’autres. Pour moi, en l’occurrence.

Dans cette recherche, je m’accorde aujourd’hui des moments d’arrêts. Cette semaine, par exemple, je jeûne. Je m’arrête une semaine. Une semaine pendant laquelle je ne serai pas à la ferme de TERA, une semaine pendant laquelle « je ne sers à rien » aux yeux des gens qui se définissent et définissent les autres en fonction de leur temps de travail et de leur productivité.

Or, à travers l’arrêt, le « rien faire », j’explore des facettes de mon identité enfouies depuis parfois des décennies. Je me reconnecte avec ce que je suis vraiment. Ce (non)faisant, le courant des actions futures qui s’étend devant moi se clarifie. Et ce qui m’angoissait dans l’action à mener, quelques jours auparavant, se réajuste, devient plus authentique, et ne suscite plus que de l’enthousiasme, lavé de ses peurs. Je peux envisager une connexion profonde entre ce que je suis, et ce que je fais.

Ce mode de fonctionnement n’est pas compatible avec la définition archaïque du travail et de l’activité. Prendre une semaine pour moi quand j’en ai besoin, sans attendre qu’on me l’autorise, ne « travailler » qu’un quart du temps si j’en ai envie, avec un calendrier qui varie au gré de mon humeur… Ai-je perdu la raison ? J’ai surtout l’impression de la retrouver.

Je ressens certaines personnes si terrifiées de voir une génération ne rien branler, « se perdre », ne rien produire, qu’elles en oublient d’imaginer que l’inactivité n’est pas un état permanent. Que la personne qui se recentre (si c’est un recentrage et pas une fuite dans des addictions bien connues : sexe, drogue, jeu vidéo, etc.) va sortir de sa hutte de sudation, de son espace de méditation, de son jeûne, de sa retraite, etc. Elle va en ressortir non seulement nourrie, mais prête à nourrir le monde et la société de ce qu’elle est, pour son bénéfice et celui des autres.

20160711_124214.jpg
L’homme allongé en bas de cette photo a tout compris.

Les bons à rien et les fainéants existent. Ce sont des personnes qui ont fini par croire ceux qui les traitaient de bons à rien et de fainéants, point. On peut naître lent, prudent, rêveur. Mais on ne naît pas fainéant. On le devient, à cause de l’incompréhension d’autrui et à son jugement face à un rythme intérieur qui n’est pas le sien et qu’il rejette/méprise.

Si vous vous sentez paresseux ou paresseuse, posez-vous cette question : quand ai-je commencé à me sentir fainéant ? Est-ce que cela est venu tout seul, ou bien est-ce parce qu’on me l’a dit ? Souvent, en remontant à l’enfance, on trouvera la marque du jugement parental ou scolaire.

Les conséquences de ce jugement sont dévastatrices, et je les ai expérimentées à l’envi. On commence par se dévaloriser et à devenir ce que l’on nous dit qu’on est. C’est ce que j’ai vécu à la fin de mon enfance et pendant toute mon adolescence. Puis, au début de mon âge adulte, à la faveur de prises de conscience primitives, je suis parti petit à petit dans l’extrême inverse, pour en arriver à une situation de vie totalement débile l’an dernier, où j’écrivais deux romans à la fois, je suivais un coaching, je travaillais, je déménageais, et je projetais des voyages, ma transition en écovillage et professionnelle. Sans parler d’une to-do list de trois pages. Tout ça à la fois. À faire pour après-demain, s’il te plaît. Boum. Explosion. Dont je suis retombé en un petit tas de chair informe et souffreteux, duquel il a fallu extraire le pus pour retrouver l’essence de mon être. Ce travail n’est d’ailleurs pas fini, mais il est salvateur.

Loin de ces deux extrêmes destructeurs (paresse et burnout), il y a l’expression simple de soi. Qui passe par des phases d’activité (dont on peut s’émerveiller), et des phases d’inaction (dont on peut s’émerveiller). Le courage de toute une vague de personnes aujourd’hui en transition, c’est de cultiver les deux phases, là où la vieille société n’en valorise qu’une.

Ainsi, à ceux qui sont prompts à juger les autres sur leur « fainéantise », j’invite l’observateur éclairé à poser cette question :

Qui es-tu, quand tu ne fais rien ?