Passé, futur, présent.

Pour avancer, il faut savoir d’où l’on vient.

Je ne suis ni handicapé à un quelconque degré physique ni porteur de plus grosses casseroles que d’autres (chacun a sa cave de boue à déblayer). Mais comme une grande majorité d’occidentaux, j’ai été conditionné d’une certaine manière, par mon éducation, par la société, et plus que tout, par mon lieu de vie.

J’ai passé toute ma vie à Paris. 27 ans au cœur d’un lieu ou rien de ce que l’on mange n’est produit à moins de trente kilomètres (et bien souvent, cela se chiffre en centaines ou en milliers). Un lieu qui sans pétrole, s’effondre en trois jours.

Mon subconscient a été sous perfusion de la publicité et injecté avec des désirs de consommation en permanence, dans les transports, dans la rue, à la télévision, sur internet.

Ma consommation de bien matériels a pu être parfois absurde et excessive, et jusqu’à récemment, je considérais inconsciemment que les déchets qui partaient à la poubelle disparaissaient par enchantement une fois le camion-benne passé.

J’ai passé ma vie entouré par les pots d’échappement, les bruits de klaxon et l’horizon bouché à vingt mètres.

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La vue matinale parisienne

Pendant un temps non négligeable de mon existence, je me suis nourri de pain blanc en tranches, de fromage industriel, de jambon lyophilisé et de yaourts Danone. Jusqu’à mes 23 ans, j’étais incapable de me faire cuire un œuf. Je ne savais pas comment ma nourriture était produite et je m’en foutais totalement.

J’allais régulièrement à la campagne chez ma grand-mère, sans pour autant vraiment profiter de son immense jardin si ce n’est pour y faire des feux. C’était beaucoup plus rigolo de faire brûler un tas de bois que de se soucier de la croissance des plantes.

J’ai été no-life sur les bords, replié sur moi, accro aux jeux vidéo, capable de passer 12 heures d’affilée à vivre par procuration des aventures épiques, souvent sensible aux fonds sublimes de nature pixélisée et d’écologie de synthèse.

Encore aujourd’hui, je hais l’exercice physique avec une passion faiblissante certes, mais toujours intense.

Depuis dix ans, je travaille dans l’audiovisuel, à la fois pour mes projets personnels et professionnels. Et même si je me soigne, je passe encore une grosse partie de mes journées avachi devant un ordinateur, le dos en banane.

Jusqu’à un certain point, j’ai cru que la démocratie se bornait à mettre un bulletin dans une urne, et j’ai élu mes maîtres avec candeur pendant quelques années.

Pour finir sur un volet non négligeable, les notions de bonheur, de bien-être, de simplicité, de calme, de paix intérieure, m’ont été assez largement éphémères, évanescentes, voire étrangères, pendant longtemps.

Je ne suis pas en train de m’apitoyer sur mon sort. Simplement, comme vie en résilience, il y a mieux. Il y a pire aussi. J’ai quand même appris à ne pas gâcher ma nourriture, à respecter la vie sous toutes ses formes, à aimer mon prochain, à respecter de grands principes dont les applications dans la réalité m’échappaient totalement en ma qualité de Parisien coupé du monde. Mais ce sont ces principes qui m’ont permis de ne pas démissionner face à la vérité, quand mes yeux se sont calés un peu plus en face des trous.

 

Le premier réveil fut l’Inde, à 17 ans. Je pense que toute personne un peu trop centrée sur son nombril et sur ses « first world problems » devrait y faire un tour. Ça fout la chiasse, mais ça débouche les sinus, les yeux, et le cerveau par la même occasion.

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Dans le marché de Pondichery, décembre 2005

 

Quelques années plus tard, à 20 ans, j’ai plongé avec joie dans le conspirationnisme. On critique beaucoup les théories du complot, et on a (très) souvent raison. En ce qui me concerne, cependant, je n’aurais pas ouvert mes yeux sur le monde comme je l’ai fait ensuite, sans cette phase de ma vie. J’ai eu deux chances là-dedans. La première, c’est l’éducation critique de mes parents, qui m’a permis de remettre ces théories en question de la même manière qu’elles m’avaient poussé à remettre en question les versions historiques dominantes en premier lieu. La seconde, c’est que j’ai été introduit à la théorie du complot via Zeitgeist. Peter Joseph est un homme remarquable. En moins de cinq ans, il a su faire évoluer son propos, du conspirationnisme à une vision du monde certes discutable (comme tout point de vue), mais radicalement différente de ses premiers travaux. Plus saine et plus constructive.

Zeitgeist premier du nom sautait à pieds joints dans le conspirationnisme, via la religion, le 11 septembre (quelle surprise !), et un volet géopolitique/économique (principalement axé sur les États-Unis). Le second s’intéressait à la mécanique de l’argent-dette. Et si son approche restait conspirationniste (l’argent-dette présenté comme une guerre cachée contre les peuples), le film n’en était pas moins valide dans la description de la création monétaire actuelle. Plus tard, j’ai découvert l’argent-dette de Paul Grignon et son approche très neutre, que je conseillerais davantage aujourd’hui pour qui veut comprendre la folie de la création mondiale d’argent.
Le troisième Zeitgeist était lui aussi beaucoup plus neutre dans sa construction, et comme son sous-titre l’annonçait (Moving Forward), proposait une vision plus claire de la société d’aujourd’hui, et des pistes pour le monde de demain. Peter Joseph est même allé jusqu’à ouvertement rire de la théorie du complot dans sa série consécutive : A culture in decline.

En suivant cette évolution du discours, j’ai moi-même fait évoluer mon point de vue en quelques années. Ma voracité pour les théories du complot m’a permis de remettre en question le système dans lequel je vivais. Ma voracité pour la vérité m’a poussé à multiplier mes sources, et à réaliser que le système actuel n’avait pas besoin de complots pour être intrinsèquement pathologique et vecteur de destruction humaine et environnementale.

Il y a trois ans, à 24 ans, j’avais une vision un peu plus claire des failles de l’économie de marché, de la nécessité de protéger notre environnement, de mieux vivre ensemble. Mais je n’avais pas la moindre idée de ce que je pouvais faire pour participer au changement que j’aspirais à voir émerger. Je considérais que la solution miracle viendrait de la technologie. Je voyais circuler des slogans comme « robots will steal your jobs, and that’s ok ! ». Je croyais dur comme fer que la vision technocentrée du mouvement Zeitgeist et son système basé sur la répartition des ressources nous sauveraient tous. Si je pense encore que le MEBR est une solution intéressante, je suis aujourd’hui beaucoup moins catégorique sur les prétendus miracles à venir de la technologie (d’ailleurs, le mouvement Zeitgeist semble s’essouffler depuis quelques temps).

Deux traversées de la France, une en moto, une à pied par les montagnes, à respectivement 23 et 25 ans, ont élargi ma vision de la France et surtout des gens merveilleux qui la peuplent.

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Ma 125 sur les routes de France pendant l’été 2012

 

J’ai commencé à entendre parler des éco-villages vers mes 25 ans. J’ai tout de suite accroché au concept, pour des raisons bancales. Mon pessimisme encore dominant me poussait à me cultiver sur le survivalisme, à voir la structure locale comme un refuge pour se protéger du monde, et j’avais encore trop d’inertie pour creuser la question. À cet instant, je perpétuais encore la majeure partie des habitudes que j’ai listées au début de ce billet.

Je me suis mis à consulter des flux d’informations alternatifs, comme Mr Mondialisation (pour lequel j’ai également écrit), ou Reporterre, qui ont leurs défauts et leurs qualités, mais ont la vertu d’alterner le catastrophisme avec du contenu sur l’émergence ou la résurgence de solutions simples pour le monde de demain.

Et puis un nouveau levier s’est manifesté, comme il s’est manifesté pour beaucoup de gens dans ce pays ces dernières années : la nourriture. Je pense au passage consacré à la viande dans Samsara, puis l’affreux mais indispensable Earthlings, puis la ribambelle de documents accessibles sur le sujet. J’ai vu circuler d’innombrables atrocités sur les élevages industriels. Sur cet holocauste animal que nous perpétuons tous les jours. J’ai lu/vu/écouté, sur les ravages de l’agriculture productiviste et de l’élevage intensif sur notre santé, sur notre environnement.

Là, j’ai commencé à changer. Nous avons tous un point de saturation. Un moment où nous nous retrouvons dos au mur, porteurs d’un savoir qui nous hurle que tout ce dont nous avons été victimes et complices, doit cesser. Le ratio inertie/désir de mouvement s’équilibre. Au prix de nombreux doutes, de nombreuses souffrances et indécisions, certes, mais il s’équilibre.

Concrètement, à 26 ans, j’ai réduit ma consommation de viande et de produits laitiers. C’est peu, mais c’est beaucoup. Au même moment, trois personnes sont passées végétariennes parmi mes collègues. Quand on voit les gens changer aussi autour de soi, l’émulation émerge, tout s’accélère. On cherche plus d’émulation, plus de pistes, plus d’espoirs de changement.

Et puis, on trébuche encore sur de nouvelles prises de conscience. Pic pétrolier, réchauffement climatique plus proche et plus concret que jamais, tensions géopolitiques mondiales. Et on panique, on perd pied devant l’ampleur de la tâche.

J’ai perdu pied à 27 ans, il y a deux mois. Burnout. Parce que plus rien ne cadrait avec rien. Parce tout mon mode de vie jusqu’alors, tous mes projets d’écriture (j’ai achevé mon premier roman en 2015, le second attendra finalement un peu), ma vision du monde, mes perspectives de participation à un changement global, mes casseroles personnelles… chaque chose tirait dans une direction différente, de toute sa force. Et je suis littéralement mort, écartelé par mon désordre intérieur. Une de mes vies s’est achevée en novembre dernier.

Tant mieux, ça avance. Mais…

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Quelque part dans les Vosges pendant ma traversée de la France en 2014

 

Pour avancer, il faut savoir où l’on va.

Ce qui est pratique avec la résilience, c’est qu’elle s’applique à tout. La résilience est la capacité d’un matériau, d’un système naturel ou naturel, d’un individu, à retrouver son intégrité après un choc ou une déformation.

Comment voir la société humaine en résilience ? Possiblement comme Rob Hopkins et d’autres l’ont proposée : locale, avant tout. Appliquée à l’énergie, à l’alimentation, à l’économie, mais aussi à l’être humain. Finalement, en me relevant tranquillement d’un burnout et en me retroussant les manches, je fais preuve de résilience intérieure. C’est peut-être le meilleur point de départ.

Pour aller où ? Le futur se dérobe constamment aux attentes. Mais la vie suit le regard.

Je vois un village. Des villages. Des villes aussi. Un réseau connecté, mais pas comme il est « connecté » aujourd’hui. Au lieu de construire une pyramide de production où tout est séparé et fragmenté pour faire des économies d’échelles que l’on paye puissance dix ensuite, chaque communauté produit la majeure partie de ce dont elle a besoin pour fonctionner. Les sources d’énergie sont diversifiées. Certaines sont gérées en commun, mais chaque citoyen ajoute sa propre production au réseau local. Le même principe est appliqué à la nourriture. Jardin commun en permaculture et potagers individuels se côtoient. L’élevage de bétail et la consommation de viande sont réduits.

Je vois des gens qui vivent dans des habitats qu’ils ont construits de leurs mains et/ou qu’ils ont rénovés et dont ils sont capables de prendre soin. Les lieux de vie accueillent la nature plutôt que de s’en séparer. Récupération d’eau de pluie, toits végétaux, phyto-épuration, serres intégrées, captation solaire et éolienne, la maison inspire et expire ce que son environnement a à lui donner et ce dont il a besoin.

Les transactions se font grâce à une monnaie locale, sauf lorsque l’on quitte son lieu de vie pour utiliser une monnaie plus large. Que ce soit avec la monnaie globale ou la monnaie locale, chacun perçoit un revenu de base, qu’il peut ou non compléter à sa guise avec d’autres activités.

Je vois la démocratie prendre la forme du consensus. Celui-ci est rendu possible par le diamètre plus petit des zones d’applications des décisions, et de la taille réduite des assemblées. Il est plus facile de faire vivre une démocratie à 300 personnes qu’à 70 millions. Pour recréer un semblant de gouvernance populaire, il faut partir des cercles les plus basiques : la famille, le voisinage, le quartier, le village. La relocalisation politique se nourrit de la relocalisation des productions, et inversement.

Ça ne veut pas dire qu’il n’existe pas de constitution commune pour un état (la France, en l’occurrence), pour un continent, ou pour le monde entier. De même que des réseaux de secours, d’information, de police, de défense, d’énergie, peuvent garder une cohérence globale. Il ne s’agit pas de revenir au moyen-âge, où le monde s’arrêtait aux portes de la ville ou du village. La différence, c’est que chaque élément constitutif du territoire retrouve de la résilience et du pouvoir, retrouve une grande part d’autonomie et de liant interne. On connaît ses voisins, on travaille et on vit en communauté. L’interaction des communautés entre elles en sort enrichie. Car comment apprendre à communiquer correctement avec des personnes lointaines par la distance et le mode de vie, si on ne sait pas déjà le faire avec ce qui est proche de nous ?

Je vois une éducation qui ne passe pas uniquement par l’apprentissage d’un savoir académique. Je vois des enfants, peut-être les miens, qui gambadent dans la nature, qui apprennent à coudre, à travailler le bois, à fabriquer des objets, à planter des légumes, de la même manière qu’ils apprennent à lire, écrire, compter. Je les vois apprendre à vivre entre eux et avec les autres générations. Les personnes âgées profitent du lien social pour s’épanouir jusqu’à la fin de leurs jours et partager leur précieuse expérience de la vie.

Je vois mon existence s’équilibrer entre l’immatériel que j’ai toujours cultivé, et le matériel que j’ai trop longtemps négligé. En me reconnectant à la terre, je me reconnecte à mon corps. Je me vois trouver ma place intérieure et extérieure, aimer l’endroit dans lequel je vis, et la vie que je mène dans cet endroit. Je me vois fonder une famille dans un environnement que je veux développer et préserver, où chaque personne, chaque animal, chaque végétal, chaque minéral, participent à un système sain et durable.

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Quelque part dans le Jura, pendant ma traversée de la France à pied en 2014

Pour avancer, il faut savoir où on est, et mettre un pied devant l’autre.

La clé de la progression est de trouver un équilibre entre la vue sur l’objectif final, et les moyens quotidiens d’y parvenir : vivre dans le présent, avec un coup d’œil de temps en temps sur le futur.

Aujourd’hui, j’adhère au projet Tera, qui vise la création d’un éco-village sur 10 ans, dans le Lot-et-Garonne. Le chantier-pilote/école commence cet hiver. En attendant de pouvoir y participer en tant que volontaire, je transcris quelques interviews menées par Frédéric Bosqué. Frédéric est cofondateur de l’initiative avec Antoine Carrier, et a fait ces dernières années le tour des éco-lieux/éco-hameaux, et des initiatives de transition un peu partout en France. Ces interviews apportent un éclairage essentiel, ouvrent des perspectives en ces temps troublés. Le témoignage réaliste, profondément pragmatique de tous ces acteurs du changement, donne envie de s’y mettre.

En parallèle, je pars demain sur un chantier d’éco-construction en Dordogne. Habite ta Terre construit un double earthship à Champs-Romain, et son modèle participatif accueille des bénévoles depuis presque un an, pour un chantier qui doit se terminer à l’été-automne 2016. Ce sera une première expérience de terrain pour moi, et je compte y apprendre le plus possible.

Lola et moi avons commencé une base de données de liens sur la transition sur Pearltrees, et pour finir, j’enchaîne la lecture du très intéressant manuel de transition de Rob Hopkins, avec l’introduction à la permaculture de Bill Mollison. J’en parlerai peut-être plus dans un autre billet.

Comme on le voit dans la structure de cet article, le passé est souvent le plus facile à ressasser, le plus dense en histoires sans cesse réinterprétables. Le futur offre de nombreuses perspectives idylliques, toutes déconnectées de la réalité actuelle. Et le présent, si mince, si timide, est pourtant la seule dimension de réalisation de la transition que nous appelons de nos vœux et redoutons de nos peurs.

Va pour le présent, alors.

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Le chantier d’earthship de Champs-Romain, sur lequel je me rends demain

Allons-y gaiement

“Le pessimiste se plaint du vent, l’optimiste espère qu’il va changer, le réaliste ajuste ses voiles.”

Puisse la sagesse de William Arthur Ward nous inspirer.

Elle s’appelle Lola, je m’appelle Grégor. Nous avons 27 ans, nous sommes jeunes et beaux. Nous sommes en transition, aussi. Je ne sais pas encore avec exactitude ce que ce blog contiendra. Je sais en revanche ce qu’il ne sera pas.

Ce blog ne servira pas à prophétiser l’apocalypse environnementale et sociétale. Il y a déjà de quoi nourrir cette peur en surabondance dans les livres, les films, et les articles disponibles un peu partout.

Il ne servira pas à ressasser les causes de la mort prochaine de nos systèmes politiques, sociaux, économiques, écologiques, tels que nous les avons connus au 20ème et au début du 21ème siècle. Il y a déjà de quoi nourrir cette réflexion en surabondance dans les livres, les films, et les articles disponibles un peu partout.

Il ne servira pas à proposer ou relayer des solutions miracles pour balayer le réchauffement climatique ou le pic pétrolier. Il y a déjà de quoi nourrir ces illusions en surabondance dans les livres, les films, et les articles disponibles un peu partout.

Comme le dit Rob Hopkins en première partie de l’excellent Demain (qu’il est encore temps d’aller voir au cinéma), l’Humanité est très douée pour raconter l’histoire de sa mort, mais assez peu pour raconter comment elle a réussi à surmonter les défis dans lesquels nous entrons aujourd’hui. C’est pour raconter une de ces histoires plus intéressantes que nous commençons à tenir ce blog.

Le changement me fait peur. Il m’effraie autant qu’il me paraît inévitable et souhaitable. Pourtant, depuis mon enfance, j’ai senti puis vu venir avec plus de discernement le bouleversement mondial actuel, qui s’articule autour de l’épuisement des ressources, du pic pétrolier, du réchauffement, de l’argent-dette, des guerres par procuration et des animosités migratoires. Mais voilà, jusqu’à aujourd’hui, si j’ai été relativement doué pour sentir, voir et comprendre, je l’ai moins été pour agir. J’ai mon lot de casseroles au pied, comme tout le monde. En bon INFP, je me prends la réalité comme une porte dans la gueule tous les jours. Lola, ma douce Lola, n’échappe pas à ses propres inerties et barrières.

Elle et moi formons un couple plein d’espoirs autant que de désespoirs, de rêves et de cauchemars, en équilibre chacun de notre côté sur une lame de rasoir particulièrement inconfortable : celle de l’hésitation. Ce tiraillement entre l’appel de la raison, de l’instinct, de l’intelligence, et celui de l’ancien monde. Cet ancien monde qui nous raconte qu’au delà de ses frontières il n’y a rien. Qui nous raconte qu’au delà des élections il n’y a pas de démocratie. Qu’au delà de l’argent-dette et des marchés financiers, il n’y a pas d’économie. Qu’au delà de l’agriculture intensive il n’y a rien à manger. Qu’au delà de la croissance il n’y a qu’une régression vers les grottes de la préhistoire. Qu’au delà du pétrole, il y a encore plus de pétrole. Qu’au delà de ce qu’il a à nous offrir, il n’y a que le néant et les ténèbres.

Cette histoire que l’ancien monde nous raconte depuis notre naissance, cela fait un moment qu’on n’y croit plus, comme des millions de personnes, rien que dans ce pays. Et pourtant, le saut dans cet inconnu qui nous appelle pour mieux contempler et respecter la nature, mieux manger, mieux vivre ensemble, mieux vivre tout court, ce passage à l’acte, n’est pas forcément aisé. Il ne l’est pas pour nous deux en tout cas.

Je suis monteur, réalisateur, écrivain. Lola est productrice et dessinatrice. Par nos professions et nos passions, nous nous sommes éloignés de cette réalité connectée à la terre que nous voulons aujourd’hui cultiver.

On ne va pas se renier. Seulement, le monde que nous voulons vivre pour nous-mêmes et léguer un jour, ne peut se nourrir exclusivement d’encre de chine et de lignes de texte sur un ordinateur.

Malgré nos contacts réguliers avec la nature, nos périples en France ou à travers le Monde, nous sommes tous les deux parisiens endurcis. C’est dur de construire une maison dans Paris. Dur de cultiver un vrai potager. Dur de connaître tous ses voisins. Dur d’être proche de ce qu’on mange. Dur de respirer un air pur. Dur de voir des animaux. Dur de s’allonger dans l’herbe. Dur de quitter cette ville, ce vortex d’énergie qui agit comme un trou noir, quand on n’a connu qu’elle pendant l’écrasante majorité de notre existence. Dur de partir sans compétences qui puissent assurer un revenu ailleurs (monteur et productrice, métiers parigo-centrés, quant à dessinatrice et écrivain, on ne va pas vous faire un dessin ni un poème).

C’est ce qui me motive dans l’ouverture de ce blog aujourd’hui. Je ne sais pas comment on va faire avec Lola pour réaliser nos rêves d’une vie plus saine, plus résiliente, si lointaine de ce qu’on a connu jusqu’à présent. Ce qui veut dire, qu’à travers ce voyage dans lequel nous nous engageons, si nous trouvons la force de changer, de faire cette transition, alors n’importe qui peut le faire. Et si à travers le témoignage de nos errances, de nos erreurs et de nos réussites, on peut apporter une modeste contribution au mouvement de la transition, alors ce blog aura rempli son office.

J’ai été en alternance pessimiste et optimiste au cours de ma vie. Deux approches différentes pour une passivité égale. Aujourd’hui, je veux être ce réaliste dont parle William Arthur Ward, et ajuster mes voiles pour vivre avec mon temps et aider un nouveau monde à éclore.

Aujourd’hui, je pousse l’homme que je suis à faire ce qu’il y a de plus ardu pour un idéaliste : lever son cul de sa chaise, et plonger ses mains dans la terre.