Laurier et résilience

J’ai mentionné Simon dans un précédent article. Avant d’être mon camarade de formation chez Fermes d’Avenir en ce moment, c’est avant tout un copain de chez Tera. Une histoire vient de me revenir à ce propos.

Ma rencontre avec Simon à Tera, s’est faite en mars dernier, autour d’un laurier-sauce. L’arbre faisait bien trois mètres cinquante de haut et trônait juste devant la terrasse de la maison de la ferme de Lartel. C’était un beau spécimen, le plus imposant de la petite famille végétale qui habitait ce côté du jardin.

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Derrière Lisa, Antoine et Olivier, le laurier tel qu’il était avant de rencontrer son destin.

Pris d’une envie soudaine de dégager la vue sur le vallon, Simon a suggéré une taille. Ladite taille fut menée séance tenante à grands coups d’élagueuse, et j’ai même participé aux premiers coups de chaîne, sans trop réfléchir, avant d’aller faire autre chose. Quand je suis revenu un peu plus tard, il ne restait de l’arbre que quatre troncs rabougris et nus, hauts de 80cm. Plus de branches, plus de feuilles (si ce n’est un rameau de 20cm qui pendouillait tristement). 80-90% de la biomasse du machin avait été emportée (sachant qu’une taille de plus de 30% est considérée comme sévère). J’ai été un peu estomaqué sur le moment, puis j’ai regardé Simon qui s’est marré et m’a répondu avec désinvolture : « t’inquiète, ça va repartir. ». J’ai hoché la tête sans y croire et une colère de fond s’est installée en moi, durablement.

Quelques semaines plus tard, le laurier faisait salement la gueule. Il apparaissait dévasté. Ses troncs et sa base se paraient de minuscules bourgeons, témoins des efforts qu’il réalisait pour ne pas y passer. Mais son dernier rameau avait bruni, et au milieu de la nature renaissante du printemps, il avait l’air de vivre ses derniers instants.

Un jour d’avril, je passais devant le laurier, et j’observais cet être vivant en galère totale, avec cette colère mêlée de tristesse qui revenait à chaque fois que je posais mes yeux dessus depuis un mois. Olivier s’est approché, a regardé successivement le laurier, puis moi, puis m’a dit avec un sourire  « Il est en train de mourir. Dans la joie, hein, mais je sens qu’il meurt » ; avant de s’éloigner.
Quelque chose s’est brisé en moi. J’ai titubé sur quelques mètres, puis me suis assis sur le petit banc en bois qui dominait les arbustes du versant à ce moment-là. Mabel, qui avait observé la scène depuis le siège, m’a glissé avec sollicitude : « toi aussi, on t’a coupé les branches ? » Je suis tombé à genoux, et j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Des larmes de rage, et de désespoir. Je me suis dit que j’étais foutu, comme cet arbre. Que j’avais pris trop cher ces derniers mois, et que je pouvais faire ce que je voulais, mais que je ne m’en remettrais jamais.

Le laurier a tardé à mourir. Il s’est battu. Ses timides bourgeons se sont multipliés, et sont sortis au pied de l’arbre. Simon, estimant qu’il valait mieux que l’arbre reparte de ses troncs, a rasé les pousses, dépouillant la plante au moment où elle essayait de s’en sortir. Cette fois, j’ai pété un câble pour qu’il ne s’approche plus du laurier, ignorant son incompréhension mi-polie, mi-narquoise. J’ai jeté un œil à ce qui restait de l’arbre, et je me suis dit que ce n’était même plus la peine d’espérer quoi que ce soit.

Mais la plante n’est pas morte. Les yeux se sont à nouveau répandus, davantage sur les troncs cette fois-ci. Puis les feuilles sont sorties. Timides au début, avant d’exploser dans une profusion verte intense. Puis les rameaux se sont étirés, innombrables. Tout au long du printemps et de l’été, le laurier a repris.

Six mois plus tard, c’est un buisson vigoureux dont le feuillage neuf cacherait presque les marques de sa mutilation. Olivier s’est planté, je me suis planté. Le machin avait des réserves d’énergie que je ne soupçonnais pas, ou plutôt que je ne voulais pas soupçonner. Simon avait raison. Il avait confiance en lui et dans les ressources de l’arbre. Il savait qu’on n’abat pas un laurier comme ça.

 

À la fin de cette histoire, c’est moi qui ai l’air con.

Con, mais vivant, comme le laurier.

 

Depuis, j’ai pardonné à Simon en même temps que je me suis pardonné d’avoir autant douté, de moi comme du reste.

Par contre, je ne lui pardonne pas ses infâmes bruits de bouche la nuit dans le dortoir de la formation. C’est insupportable.

Allez, salut maintenant.

Le laurier, pris en photo hier par Simon (Un autre Simon). 

 

(la photo de couverture de l’article a été prise par Bertrand Fourgs)

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